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15, rue Soufflot - 75005 Paris
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La Cour de cassation, réunie en formation plénière, s’est prononcée le 17 juillet 2019 sur la compatibilité du barème prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail, dit « barème Macron », qui fixe un plafond à l’indemnité prononcée par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec des conventions européennes et internationale, en l’occurrence les textes suivants :

Les deux avis rendus par la formation plénière de la Haute Juridiction (1) ne mettront pas fin aux débats judiciaires sur ce barème d’indemnisation très controversé (2).

1) Le contenu des deux avis de la formation plénière de la Cour de cassation

Sur la recevabilité de la demande d’avis :

Dans son avis rendu le 17 juillet 2019, la formation plénière de la Cour décide que la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les règles européennes et internationales pouvait faire l’objet d’une demande d’avis dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond.

Sur le fond :

Selon la formation plénière, les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du travail n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la CEDH car ce texte ne s’applique pas aux limitations matérielles d’un droit consacré par une législation interne mais seulement à des questions d’ordre procédural (pour sanctionner un obstacle procédural entravant l’accès à la justice).

S’agissant des dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, la Cour de cassation décide qu’elles n’étaient pas d’effet direct, ce qui répond à une question qui n’avait pas encore été tranchée par sa Chambre sociale.

A l’inverse, la Cour de cassation décide que l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’OIT, est d’application directe en droit interne, apportant là aussi une réponse à une question qui n’avait pas encore été jugée par la Chambre sociale.

L’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT prévoit que dans le cas où les juridictions du travail « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.« 

Selon la Cour de cassation, le terme « adéquat » doit être entendu comme réservant une marge d’appréciation aux Etats parties à la Convention n° 158 de l’OIT.

En droit français, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise lorsque le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut.

En cas de nullité du licenciement (article L.1235-3-1 du même code), le barème prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail est écarté.

La formation plénière en a déduit que les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du travail étaient compatibles avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, l’Etat n’ayant fait qu’user de sa marge d’appréciation.

2) La résistance des juges du fond

Tout d’abord, dans ses deux avis, la Cour de cassation a souligné qu’elle s’est autorisé donner son avis sur la compatibilité du plafonnement des indemnités de licenciement dès lors que son examen se limitait à « un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait« . Les juges du fond (conseils de prud’hommes et chambres sociales des cours d’appel) restent donc libres d’écarter le « barème Macron » au cas par cas.

Ensuite, les juridictions du fond  ne sont pas liées par les deux avis rendus par la Cour de cassation (article L.441-3 du Code de l’organisation judiciaire et article 5 du Code de procédure civile). Elles sont libres de refuser de suivre ces avis.

La Cour de cassation elle-même n’est pas liée par ses propres avis. Il est en effet parfaitement envisageable que la Chambre sociale de la Haute Juridiction, qui traite le contentieux du travail, rende prochainement un ou plusieurs arrêts dans un sens différent de l’avis de la formation plénière. Cela s’est déjà produit.

Les polémiques et débats passionnés créés par l’ordonnance du 22 septembre 2017 vont animer encore longtemps les juridictions du travail.

DERNIÈRE MINUTE : Jugement du Conseil de prud’hommes de Grenoble en date du 22 juillet 2019.

Par Jugement rendu le 22 juillet 2019, le Conseil de prud’hommes de Grenoble s’est affranchi du plafond légal d’indemnisation prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, malgré l’avis de Cour de cassation rendu le 17 juillet 2019, pour les motifs suivants :

« L’article L.1235-3 du Code du travail peut en revanche s’opposer à l’application de l’article 10 de la Convention numéro 158 de l’Organisation internationale du travail sur le licenciement ratifiée par la France le 16 mars 1989, dont le Conseil d’État a confirmé l’effet direct, qui dispose que « si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate tout autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
L’avis rendu par la Cour de cassation le 17 juillet 2019 a conclu à la compatibilité des stipulations de l’article L.1235-3 du Code du travail et de l’article 10 de la Convention de l’OIT, mais ne constitue pas une décision au fond. Cependant en l’espèce, l’application du barème annexé à l’article L.1235-3 du Code du travail permet de fixer une indemnité allant de 3 à 11 mois de salaire. En retenant un salaire moyen de 2 098,77 euros qui est la moyenne des salaires sur les 12 derniers mois, cela aboutit un maximum de 23 086,47 euros.
Au regard de l’ancienneté de Madame X au sein de l’entreprise soit 11 ans et 11 mois, de son âge (55 ans au jour de son licenciement), de sa rémunération, de sa qualification et de son souhait affiché de monter dans la hiérarchie, projet totalement interrompu par ce licenciement, ainsi que de la perte pour la salariée de pouvoir bénéficier de l’allocation de fin de carrière, outre les circonstances mêmes de la rupture, le préjudice réel subi par la salariée licenciée est supérieur à cette fourchette.

La véritable adéquation des indemnités serait de retenir une somme de 35 000 € net.
Cette somme apparaissant supérieure à ce que permet l’application du barème annexé à l’article L.1235-3 du Code du travail dans la présente espèce, ce barème devra être écarté afin de permettre une réparation adéquate du préjudice de la salariée, conformément aux dispositions de l’article 10 de la convention n° 158 de OIT ». (CPH Grenoble, jugement du 22/07/2019)

Plus récemment encore, de nombreux conseils de prud’hommes et cours d’appel ont rendu des décisions dans le même sens.

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